Kim Rouch à la Galerie Chaon : un catalogue d’exposition

Pour accompagner l’exposition, un catalogue réalisé sous le parrainage d’Altea Patrimoine présente une quinzaine de tableaux.

Des tableaux et quelques mots…
A lire sans aucun doute, la préface de Jacques Jacob.
Quelques lignes essentielles au sujet du peintre. Des mots justes.

 

« La frontière lui va si bien.

Bien sûr que non, ce n’est pas utile de savoir pourquoi peint Kim Rouch pour être touché
par le charme faussement placide, presque rassurant, de sa peinture ! Mais il faut quand
même en toucher deux mots si on veut comprendre ce qui se trame derrière ces paysages
bien plus agités qu’il n’y paraît. Nos chemins se sont croisés il y a plus de vingt ans, mais
il m’a fallu du temps pour réaliser que deux mots sont indissociables chez cet artiste
ambivalent : Calme et tourmente. Pas le calme qui précède la tempête. Et vice-versa. Chez
lui, les deux cohabitent. Derrière ses lunettes rondes, on distingue un invariable regard plein
d’empathie, de chaleur et de ce qu’on pense être tranquille assurance. Alors qu’en réalité,
son cerveau est en ébullition permanente.

À vrai dire, il n’a pas beaucoup changé. Il a un métier, qu’il n’exerce pas à moitié. Il a une
passion. Sans concession. Tellement entier. Et en même temps duel. Un brouhaha intime
avec lequel il a appris à composer. Depuis cinquante ans, soit depuis qu’il a découvert
des reproductions de Gauguin sur des boîtes de gâteaux en fer blanc, sa tectonique
des plaques obéit à une seule question : pourquoi peindre est-il vital pour lui,
alors que, a priori, ses gènes ne l’y prédestinaient pas ? Beaucoup d’artistes se posent
probablement cette question des origines. Elle n’a rien d’original. Quant à la réponse, pas
sûr qu’elle compte vraiment. L’important, c’est la quête. C’est elle qui fait que sa peinture,
même si l’on reconnaît sa facture, n’est plus tout à fait la même. Elle a fait du chemin.

Le plus évident, c’est le changement de matière : à la fluidité de l’aquarelle a succédé
la densité de l’huile. Mais sa peinture a surtout traversé des territoires innombrables. Ils
furent autrefois d’outre-mer. Ils sont aujourd’hui circonscrits à des vagues d’écume ou de
dunes, et des langues de terres salées. Ces paysages nous apparaissent familiers. Mais
c’est anecdotique car ils sont d’abord intimes. Il faut le croire lorsqu’il jure qu’il n’est pas
un peintre de lieux. Il n’y a pas plus intérieurs que ses extérieurs. Et pourtant, ils respirent
l’iode et les crottes des moutons qu’on ne voit pas. Ils paraissent immobiles et apaisés et
pourtant le vent est bien là, palpable. Ils vivent, faussement indolents. Immuables et fragiles.
Ou alors, ils éructent en vagues colériques et fascinantes. Ils sont comme en équilibre sur
cette frontière entre la terre et l’eau, cette frontière sur laquelle il se sent si bien, lui qui n’a
jamais voulu, pu ou su choisir sa destinée, plonger à corps perdu dans la peinture. Quelque
chose l’a retenu. Il est resté à la frontière. Mais la frontière lui va si bien !

Tout a déjà été fait, sauf par celui qui est en train de faire, ce qui fait d’une œuvre d’art une
production intellectuelle, donc abstraite. Depuis que Kim Rouch se le répète, sa tectonite
se sont stabilisées. L’essentiel est cependant ailleurs. Dans cette conversation avec une dame,
par exemple, qui lui dévoile son émotion devant une toile sur laquelle elle reconnaît la
cabane à moutons de son grand-père. À la frontière, on fait parfois de belles rencontres. »

Jacques JACOB

Exposition Kim Rouch à la galerie Chaon, jusqu’au 7 juin 2015.
Galerie Chaon
6, rue Paul Poirier
50400 Granville